Appel à articles : Les modes d’engagement des jeunes, dans et hors l’école, en contexte de crise.
Argumentaire
La polysémie de la notion d’engagement telle qu’elle est mobilisée autour de la question scolaire et dans le contexte de l’école oscille entre inculcation et ouverture de possibles, ce qui en fait une question discutée. L’engagement des jeunes relève parfois d’une adhésion à des valeurs prônées par l’école. Il peut également s’exprimer en dehors de l’école et s’orienter vers une critique de l’idéologie dominante qui prévaut dans la société. Il est dès lors nécessaire d’articuler les visions normatives et émancipatrices de l’engagement pour comprendre comment ces conceptions antinomiques s’articulent dans et hors l’école, en tenant compte aussi de ce qui distingue la fin de la scolarité obligatoire de l’enseignement secondaire ultérieur.
La pluralité des acceptions de la notion d’engagement (éthique, sociologique, psychologique, etc.) témoigne des multiples références mobilisées par l’éducation à la citoyenneté (histoire, sociologie, philosophie, science politique, droit, géographie, etc.). L’analyse des engagements devient alors un angle d’attaque pertinent pour étudier les contenus et modalités didactiques développés dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté, une « discipline » hybride qui demeure constamment en construction. Bien que datant de 2015, l’Enseignement moral et civique en France a ainsi fait l’objet d’analyses qui montrent son caractère pluriel et controversé (Kahn, 2015 ; Desmery, 2020). Cette notion peut concerner les élèves, mais aussi les enseignant-es (sur le plan professionnel, syndical, politique, etc.), et surtout rassembler sous le même terme des engagements multiples (civique, social, politique, scolaire, etc.).
Le lien entre engagements et école recèle nombre d’ambiguïtés, notamment celle de l’injonction prescriptive, c’est-à-dire la distinction de bons et de mauvais engagements, et des acteurs et actrices qui la déterminent. En témoigne par exemple la virulence des réactions actuelles face à l’engagement d’une lycéenne dans un combat contre le réchauffement climatique, faisant face à des critiques genrées, mais aussi quant à sa jeunesse et son statut d’« écolière ». Dans la même veine, les interrogations que soulève le statut de la grève dans un contexte scolaire sont une preuve de la dimension sensible de ces questions. Les engagements de la jeunesse dans des contextes nationaux variés sont un sujet de premier plan à l’heure des grèves pour le climat ou des luttes féministes, même si ces mouvements d’ampleur planétaire ont subi une réorganisation du fait du contexte pandémique actuel. Cette crise sanitaire interroge d’ailleurs les relations entre les générations ainsi que les engagements subis ou choisis de la jeunesse.
L’enjeu central de cet appel à articles est ainsi de questionner la pluralité des engagements provoqués ou attendus à l’école et hors de l’école et de comprendre la relation entre injonction normative et promotion de l’émancipation.
Diverses catégories de références sont mobilisables pour penser l’engagement à l’école :
– Dans la perspective de la mise en œuvre d’une école émancipatrice (Freire, 1983 [1968]) qui ne soit pas fondée sur la simple prescription de valeurs qui se vident de leur dimension politique pour se réduire à de simples civilités, il s’agira de réfléchir aux conditions (pédagogiques mais aussi organisationnelles) qui permettent aux élèves d’exercer une réflexion autonome, notamment par le biais de l’examen de problèmes de société susceptibles de les engager en tant que sujets agissants. La notion d’émancipation (Freire, 1983 [1968] ; Garnier, 2014) est intimement liée à cette pluralité des formes d’agentivité des élèves et interroge sa signification du point de vue de leur autonomie d’action et de pensée, mais également de la reconnaissance (Honneth, 2000) de cette autonomie par les adultes.
– Reinhart Koselleck (2000 [1979]) a également mis en lumière l’articulation entre un champ d’expérience et un horizon d’attente qui marquent le passé et l’avenir de tout un chacun, celle-ci constituant un moteur de la prise de décision, ce qui la lie à l’agentivité (agency) qui s’oppose au fatalisme. Cet appel postule que la crise contemporaine des horizons d’attente a une influence majeure sur les engagements de la jeunesse, qu’ils se manifestent dans ou hors école, qu’ils soient encouragés ou empêchés. Il ne s’agit donc pas de traiter de la crise de l’école ou de celle de la société, mais de la façon dont ces horizons d’attente troublés entrent dans l’école. Cette pénétration est souvent accompagnée d’une injonction à l’engagement des élèves encore mineur-es, cette posture étant perçue comme une réponse à ladite crise.
– Le contexte scolaire nord-américain est traversé de tensions autour du rapport dialectique entre reconnaissance et universalité, certains groupes minoritaires exprimant le constat d’une forme d’assignation à l’universalisme. Abordé sous l’angle de la philosophie politique notamment, ce débat concerne l’éducation à la citoyenneté en mettant en tension les concepts d’universalisme et de particularisme (Sant, 2019).
– L’engagement de la jeunesse, dans et hors école, ne se restreint pas à la citoyenneté politique à venir (pour les mineur-es) puisque le choix de s’engager dans certains clubs (pour pratiquer un sport, apprendre un art créatif, etc.) peut aussi mener à des formes d’engagements proto-politiques. Cela illustre la capacité des élèves à choisir leurs engagements en toute connaissance de cause et à faire ainsi preuve de discernement, y compris dans le choix de ne pas s’engager. Cette attitude peut ainsi être conçue comme une forme de contre-engagement (Robert-Mazaye, Demers, Boutonnet et Lefrançois, 2017).
– L’étude des formes d’engagement des jeunes doit permettre de déterminer quel-les citoyen-nes l’école entend former et d’évaluer la réalité de cette formation civique. Il serait par exemple fructueux de réfléchir au rapport dialectique entre les engagements prescrits et l’encouragement à faire preuve de discernement. La notion de justice sociale transmise aux élèves, vers laquelle tend la taxonomie de Westheimer & Kahne, prend un sens particulier dans le contexte de mouvements sociaux contemporains qui touchent la jeunesse un peu partout dans le monde. Et de se demander enfin, en mobilisant par exemple la didactique de la citoyenneté comment faire face au dilemme moral qui consiste à faire valoir sans prescrire (Heimberg, 2011). La didactique de l’enseignement des questions sensibles en classe pourra être examinée en la confrontant notamment aux critiques d’un enseignement de nature dogmatique (Legardez & Simonneaux, 2006).
Cet appel ne se limite pas à l’aire francophone, tous les pays pouvant être concernés par une telle approche. La jeunesse, dans sa pluralité, doit être entendue ici au sens large, bien qu’il semble intéressant de relier l’engagement des jeunes à leur minorité civique et politique, ce qui permet de prendre en compte une participation qui va au-delà du vote.
D’autre part, des articles historiques traitant de crises passées (guerres, famines, épidémies) permettraient d’éclairer les enjeux contemporains de cette entrée des crises dans l’École. Ce questionnement peut ainsi s’inscrire dans plusieurs champs disciplinaires afin d’aborder aussi bien des formes passées d’engagements que des expériences contemporaines, voire des projets à venir. La perspective diachronique doit permettre un mouvement de va-et-vient entre passé et présent en historicisant les débats contemporains sur l’éducation à la citoyenneté notamment.
Cet appel encourage enfin à analyser la reconnaissance de la parole et des points de vue diversifiés des jeunes, ce qui repose la question du lien entre engagement et insertion, mais montre aussi le caractère parfois normatif de celle-ci. Le concept de reconnaissance apparaît alors fondamental à prendre en compte dans le cas d’engagements moraux ou en vue d’un résultat pratique.
Axes de travail
Les propositions pourront s’articuler selon les trois axes suivants qui ne sont pas exclusifs :
Axe 1 : Analyser la crise des horizons d’attente comme facteur et ressort d’engagements pour changer le monde de l’école ou par l’école dans des contextes traumatiques passés (guerres, catastrophes, etc.).
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Quelles sont les tensions, présentes et passées, liées à la conception de l’école en examinant le lien dialectique entre les contenus et les procédures ? Certains contenus peuvent être émancipateurs mais transmis par des dispositifs qui contreviennent par leur essence même à ce processus, comme la pédagogie catéchistique (Buttier, 2016 et 2017).
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Il est alors nécessaire de questionner la possibilité même d’un enseignement des enjeux politiques et sociaux à l’école, voire d’une éducation au politique (Mougniotte, 1999). Comment transposer les savoirs savants en savoirs enseignables à tous, en les élémentant et non en les abrégeant pour reprendre des réflexions pédagogiques héritées du Siècle des Lumières et de la Révolution française, réactivées au XXème siècle en didactique avec le concept d’élémentation des savoirs (Astolfi, 2014).
Axe 2 : Examiner les engagements pédagogiques et didactiques et leur puissance émancipatrice potentielle.
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Comment mobiliser les travaux menés par Westheimer & Kahne (2004) qui constituent une tentative de typologie, ou taxonomie selon Éthier & Lefrançois (2015), non pas des engagements, mais des élèves engagé-es, pour étudier les diverses formes d’engagements ?
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Il importe donc également de partir des programmes et plans d’études afin d’identifier les attentes réglementaires concernant l’engagement à l’école. Heimberg (2007) a justement posé la question de la prescription en plaidant pour « ouvrir des perspectives de réflexion autonome pour les jeunes ». Des formes d’engagement inédites se font jour en niant parfois la capacité même de l’école à permettre aux élèves de s’engager, lorsqu’il s’agit de grèves scolaires par exemple.
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Quels types d’engagement découlent-ils de la pénétration de débats controversés dans l’école, quel sont ceux qui sont promus, quels engagements sont-ils empêchés, en fonction de ces questions sensibles dans la classe, dans la société mais aussi, parfois, dans les savoirs de référence ?
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Sachant que la citoyenneté scolaire peut se révéler très fortement normée, dessinant en creux le projet politico-éducatif d’une société, quel peut être le bénéfice d’une approche comparatiste des formes d’engagements selon les contextes culturels considérés ?
Axe 3 : Interroger l’éducation aux enjeux politiques et sociaux dans l’école d’aujourd’hui : s’agit-il d’un encouragement ou bien d’un obstacle aux engagements des élèves ?
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Ce dossier encourage à interroger l’existence d’une volonté émancipatrice qui semble plus être le fait de certains protagonistes (individuels ou collectifs) que des institutions en charge de l’école. L’école est souvent mobilisée face à ce qui est qualifié de « déficit d’engagement » de la jeunesse, les espoirs se reportant notamment sur l’éducation à la citoyenneté, bien que l’impact de celle-ci reste largement inconnu. L’injonction à s’engager pour la démocratie dans sa forme traditionnelle et minimaliste (voter, s’insérer dans des institutions ou des structures pré-existantes) peut-elle ainsi être perçue comme un engagement forcé ?
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Quelles sont les formes d’engagement politique reconnues : voter aux élections, connaître les institutions, être membres des sections jeunes des partis, se syndiquer, etc. ? Un engagement peut ainsi être valorisé tout en méconnaissant certaines formes alternatives de participations à la sphère publique qui peuvent être plus engageantes pour certain-es élèves.
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La notion de neutralité scolaire doit être interrogée en l’historicisant et en adoptant également une démarche comparatiste pour tenir compte des contextes particuliers dans lesquels elle s’exprime (Potvin, 2015). L’engagement peut être à la fois le but à atteindre lorsqu’il vise à fabriquer des citoyen-ne-s autonomes et responsables, ou bien le repoussoir lorsqu’il se manifeste dans une radicalisation politique ou religieuse pouvant aboutir à la négation la plus extrême de l’altérité.
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La question doit également se poser de savoir comment traiter des effets de l’éducation à la citoyenneté sur les élèves, dans un contexte troublé comme celui des attentats qui ont touché la France en 2015 par exemple ? (Bozec, 2016). En sachant, comme le soulève l’auteure, que les attentats en France ont une influence très forte sur les finalités de l’école en matière d’éducation à la citoyenneté.
Dans ce contexte de crise des horizons d’attente, l’évolution de l’enseignement devient une réponse aux tensions sociale, économique, politique, environnementale ou encore sanitaire. L’éducation à la citoyenneté et tous les enseignements qui participent de la formation civique sont perçus comme autant de leviers de transformation en même temps qu’ils sont soumis à une demande sociale. Ces quelques questions n’épuisent pas les sujets qui pourront être traités et visent à susciter des propositions aussi riches que variées.
Calendrier
Les articles complets sont attendus pour le 30 juin 2021 au plus tard (les adresser à Jean-Charles Buttier, à l’adresse suivante : Jean-Charles.Buttier@unige.ch)
Les auteurs et autrices recevront les résultats des expertises au 30 octobre 2021 au plus tard pour permettre les allers-retours nécessaires avant les versions définitives.
La parution est prévue pour fin décembre 2021.
Pour toutes demandes de renseignements, contacter Jean-Charles Buttier (Jean-Charles.Buttier@unige.ch).
Normes de présentation
Les propositions d’articles doivent faire apparaitre Titre, sous-titre, nom et prénom de l’auteur ou des auteurs, fonction, équipe de recherche et organisme d’appartenance, un résumé de 350 à 500 signes maximum, en français et en anglais ainsi que 3 ou 4 mots-clés, en français et en anglais.
Les articles doivent respecter les normes APA mises à jour : https://journals.openedition.org/trema/876
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